L’obstétrique et la proctologie :

Les liaisons dangereuses...

La grossesse, l’accouchement et le post-partum sont des périodes riches en événements proctologiques, qui surviendraient chez plus de la moitié des femmes. Pourtant, ces pathologies sont mal connues. Elles sont en effet souvent considérées comme banales et inéluctables par le monde obstétrical et les parturientes, gênées d’aborder un tel sujet et davantage préoccupées par les joies de la naissance. Il nous appartient donc de mieux les connaître et de tenter d’améliorer leur prise en charge.

En pratique, il faut distinguer la fissure anale et la pathologie hémorroïdaire, liées à la grossesse et l’accouchement, de la pathologie traumatique, liée à l’accouchement.

n Fissure anale

Elle peut survenir en fin de grossesse mais se produit préférentiellement après l’accouchement. Son incidence, mal connue, serait proche de 10%. La constipation, en partie favorisée par les apports de fer, est un facteur favorisant classique, mais le traumatisme de l’accouchement jour également un rôle physiopathologique important. De fait, cette fissure diffère de la forme " classique " car elle est volontiers commissurale antérieure et associée à une hypotonie de repos du canal anal liée à l’imprégnation hormonale, aux lésions sphinctériennes et / ou à une neuropathie d’étirement.

Traitement

Dès lors, son traitement curatif comporte quelques particularités. En effet, la régularisation du transit et l’administration de topiques doivent être proposées en première intention et la chirurgie en dernier recours. Quand elle est envisagée, il faut se contenter d’une fissurectomie simple sans leïomyotomie. Les applications de trinitrine ou les injections de toxine botulique, visant à diminuer le tonus anal de repos, ne semblent pas indiquées. En outre, il paraît raisonnable de recommander l’administration de laxatifs pendant la grossesse et durant quelques semaines après l’accouchement, bien qu’aucune étude n’ait étayé cette mesure préventive.

 

n Pathologie hémorroïdaire

Plus fréquente que la fissure anale, la pathologie hémorroïdaire se révélerait dans 50% des cas à l’occasion de la grossesse. Sa physiopathologie est plurifactorielle : augmentation du volume sanguin circulant, congestion vasculaire et relâchement du ligament suspenseur de Parks du fait de l’imprégnation hormonale, diminution du retour veineux du fait de l’utérus gravide, constipation, antécédents hémorroïdaires personnels et familiaux, etc.

Elle se manifeste essentiellement par des saignements, particulièrement pendant la grossesse, et / ou des thromboses, survenant en fin de grossesse et / ou après l’accouchement. Ces thromboses peuvent siéger au niveau hémorroïdaire externe ou interne et se caractérise par l’importance de l’œdème et la petite taille des caillots. Le prolapsus hémorroïdaire interne thrombosé circulaire se rencontre plus rarement ; cette complication hyperalgique rare est l’apanage de la parturiente.

Traitement

Les saignements doivent être traités par la régulation du transit, la prise de veinotoniques et l’administration de topiques. En cas d’échec, il est possible de recourir aux techniques instrumentales bien qu’elles soient discutables pendant la grossesse du fait du risque de complications. La chirurgie est rarement envisagée. Pour les thromboses, il faut se contenter des soins locaux, du paracétamol et des veinotoniques dont l’effet reste modeste. En cas d’échec pendant la grossesse, on peut utiliser les corticoïdes par voie générale en cure courte, les AINS étant contre-indiqués. Pendant l’allaitement, il est possible d’utiliser les AINS, en les administrant à petites doses, immédiatement après les tétés. Le recul concernant les nouveaux anti-inflammatoires COX 2 sélectifs est pour l’instant insuffisant. Pendant la grossesse, les gestes d’incision ou d’excision doivent être réalisés après anesthésie locale à la Xylocaïne, non adrénalinée, mais ils sont rarement indiqués du fait de l’œdème prédominant. Parfois, l’hémorroïdectomie chirurgicale est le traitement salvateur, seul susceptible de soulager les douleurs. Pendant la grosse, il est recommandé d’éviter l’utilisation de la Bétadine dans les bains de siège, en raison du risque de surcharge iodée fœtale.

 

n Pathologie traumatique

Lors de l’accouchement par voie basse, notamment le premier, les contraintes mécaniques exercées par l’expulsion fœtale peuvent avoir des effets majeurs sur le sphincter anal, l’innervation pudendale et le plancher pelvien. Cette pathologique traumatique est bien connue mais son retentissement clinique tardif, après plusieurs décennies, a été longtemps sous-estimé et n’est évoqué que depuis peu de temps. Dans un article récent, 31% des obstétriciennes interrogées déclaraient qu’elles préféreraient avoir une césarienne pour leur premier accouchement non compliqué !

Etiologies

w Les déchirures périnéales du 3e ou 4e degré compliquant environ 1% des accouchements, sont responsables de troubles immédiats de la continence anale dans 25% des cas du fait de la rupture du sphincter anal. (voir tableaux suivants)

  1. Classification des déchirures périnéales pouvant survenir lors de l’accouchement par voie basse

Degré Tissus intéressés par la déchirure

  1. muqueuse vestibulaire et peau du périnée
  2. 1 + noyaux fibreux centraux du périnée
  3. 2 + sphincter anal (périnée complet non compliqué)
  4. 3 + muqueuse anorectale (périnée complet compliqué)
  1. Facteurs de risque les plus fréquents des traumatismes pelvipérinéaux de l’accouchement par voie basse

Elles sont le plus souvent opérées immédiatement, mais des études endosonographiques récentes ont démontré que ces réparations primaires s’avéraient imparfaites dans 70% des cas et que des ruptures sphinctériennes occultes compliquaient 35% des accouchements normaux. Le devenir de ces femmes est mal connu, mais on peut craindre qu’une grande proportion d’entre elles voir apparaître de symptômes avec les effets conjugués d’autres accouchements, de gestes de chirurgie proctologique, du vieillissement tissulaire et / ou de la ménopause.

w Une neuropathie par étirement des nerfs pudendaux, souvent temporaire (moins de 4 mois), peut être définitive. Ses effets d’additionnent au fur et à mesure des accouchements. Fréquemment associée aux lésions sphinctériennes, elle est également mise en cause dans les troubles de la continence anale (50% des cas) et peut altérer les résultats fonctionnels après réparation chirurgicale d’une rupture sphinctérienne.

Par ailleurs, il faut noter que l’accouchement par césarienne programmée préserve la parturiente de tout traumatisme pelvipérinéal. Il n’en est pas de même pour les césariennes non programmées qui n’entraînent certes pas de lésions sphinctériennes, mais peuvent générer des neuropathies d’étirement, notamment en cas de dilatation du col utérin au-delà de 8 cm.

w Les fistules recto-vaginales, ano-périnéales ou ano-vestibulovaginales, pouvant compliquer une déchirure complète du périnée, sont devenues rares.

Traitement

Le dépistage précoce des altérations fonctionnelles et anatomiques semble essentiel. Il faut largement recourir aux explorations complémentaires (endosonographie, manométrie, électrophysiologie), notamment en cas d’incontinence anale (même transitoire), de déchirure périnéale du 3e ou du 4e degré et / ou d’accouchement instrumental par forceps, en respectant un délai de trois à six mois après l’accouchement. Les indications de rééducation ou de réparation sphinctérienne chirurgicale en découlent.

La prévention est essentielle. Le professeur Madélénat, chef du Service d’obstétrique de l’hôpital Bichat, suggérait récemment aux Journées de la Société nationale française de colo-proctologie (novembre 1999) de :

3– Situations à risque pour le sphincter anal amenant à discuter une césarienne programmée

 

n CONCLUSION

La collaboration entre proctologues et obstétriciens, encore difficile à établir, doit se développer dans les années à venir car l’enjeu est majeur. Les douleurs générées par la pathologie hémorroïdaire et la fissure anale nécessitent une prise en charge plus spécifique. Les altérations fonctionnelles et anatomiques secondaires à l’accouchement doivent être mieux connues, dépistées, traitées précocement et, surtout, prévenues. En particulier, la place de la césarienne prophylactique doit être précisée.

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